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« Ce que je veux dire, c’est que la cuillère “objet” est aussi quelqueCHOSE. Objet, elle détermine un certain projet qui peut être commun aux sujets en présence, en l’occurrence la mère et l’enfant. Chose, il se peut qu’elle soit repère dans l’espace tout naturel de ce que je désigne comme étant individu, ce par quoi le sujet résiste à n’être qu’enseigné, et ce par quoi, encore, la cuillère n’est pas que cet ustensile advenu dans les mœurs, mais chose qui scintille et pèse, proposée par inadvertance à ce cogner, frapper, heurter, manier pour rien, parce que ces infinitifs sont “dans la nature” humaine, immuables et voilà tout et le fait est qu’ils ne doivent rien à l’invention de la cuillère. »
Fernand Deligny

Yves Clot a proposé à L’Arachnéen de publier un recueil de textes inspirés par un court essai inédit (1976) de Fernand Deligny, « La cuillère humaine ».

Dans cet essai, Deligny s’en prend au dernier chapitre du Développement du psychisme (1959), l’ouvrage du psychologue soviétique Alexis Léontiev – paru en français en 1976. Alors que Léontiev voit dans le maniement approprié de la cuillère un exemple type d’humanisation, fruit du processus d’apprentissage de l’enfant, Deligny interroge à la fois l’objet – ou la chose ? –, avec ses propriétés sensorielles, indépendantes de sa fonction sociale, et défend la possibilité pour l’enfant d’« expérimenter » l’objet en dehors du langage et de la relation d’enseignement.

Dans un premier texte, Pascal Sévérac s’emploie à exposer clairement les enjeux de la controverse Deligny/Léontiev, en soulignant les conditions dans lesquelles, selon Deligny, peut s’exercer notre sensibilité, sensorielle et affective, « l’humanité de notre appareil à repérer » ; Yves Clot poursuit et explore les échos de la pensée d’Henri Wallon chez Deligny, en cherchant à mettre à jour une conception alternative de l’activité selon laquelle le soin est à apporter moins à la relation intersubjective qu’à l’activité conjointe imprévisible, « par inadvertance ». Chemin faisant c’est le lien improbable entre Deligny et Vygotski qui apparaît.

S’ensuit le journal par Jacques Lin – alors tout jeune ouvrier électricien – de sa vie quotidienne avec Janmari, enfant autiste de 12 ans, entre 1967 et 1969.

Dans un dialogue au fil de la plume, Sandra Alvarez de Toledo et Anaïs Masson soulignent, à partir de « la cuillère », le rôle des objets-choses dans les pratiques expérimentales du réseau.

Jean-François Chevrier entreprend la cuillère comme « objet-image », en tant qu’elle touche à la fabrique de l’humain, au rôle de la main, et à l’activité artistique.

Livia Scheller fait part du rapport qu’elle voit entre l’exploration des objets-choses par l’enfant et celle des mots par l’écrivain, en proposant un rapprochement avec la poésie de Mandelstam.

En conclusion, la formule « par inadvertance », qui fait le titre du livre, est librement discutée par les auteurs et autrices, qui la confrontent aux notions de circonstances, de nécessité et de hasard.

Ce recueil voudrait montrer que la réflexion de Deligny peut s’appréhender par un large éventail de points de vue, qui va de la philosophie et de la psychologie jusqu’à la poésie et l’art.