“C’est pas ma faute. C’est leur faute à eux, en bas.”
Et il raconte les biberons au lait jamais blanc, gnôle ou vin mélangé. “J’ai pas souvenir d’un repas sans pinard.”
Suzanne écoute, pose un bécot sur les lèvres de Lucien.
“Tu peux t’arrêter si tu le veux. J’suis sûre que t’auras la volonté.”
Il dit qu’il aurait voulu être boxeur.
Suzanne, la Suz, c’est la mère de Denis Belloc.
Tout commence dans la banlieue ouvrière de La Rochelle en 1929. Nazaire et l’Andalouse mettent au monde Suzanne. La misère dans laquelle elle grandit est immense, la violence parfois insoutenable. Nazaire quitte l’Andalouse acharnée à détruire. À 16 ans, la Suz rencontre Lucien dont elle tombe éperdument amoureuse et l’épouse. L’Andalouse meurt. Ils élèvent ensemble les frères et sœurs de Suzanne et bientôt deux enfants. Mais la misère colle à la peau, quand Lucien a bu, personne ne peut le maîtriser. La Suz s’accroche malgré le désastre de son mariage. Elle reste debout face aux drames, aux tromperies et à la mort.
Denis Belloc commençait Néons par le récit que faisait Suzanne de la mort de Lucien, lors d’un combat de boxe, récit qu’il terminait par cette phrase : « J’avais un an et demi. Et ce qu’il m’a fait ce soir de juillet 1951, j’ai pas pu lui pardonner. J’ai pensé : Tu m’as laissé que des photos sépia. T’es qu’un fumier d’absent et je te hais. » C’est à partir des photos de l’album de famille et des souvenirs qu’il recueille directement de sa mère que Denis Belloc compose Suzanne.
Marguerite Duras, commentant le livre, avance le concept de « nuit sociale », et évoque « un grand et terrible roman politique », celui de la misère dans la France des années quarante. Comme pour Néons et Képas, il s’agit avant tout pour l’auteur de dire, dans sa crudité nue, un monde que l’on préférerait ne pas voir, celui d’où il vient et dans lequel il a grandi et vécu. En cela, Suzanne est un roman terriblement humain.