Quoi, encore un énième ouvrage sur Louise Michel ? Qualifiée de « vierge rouge » ce titre rabâché ? Eh bien pas du tout, il n’y a de banal que le titre ! Cette nouvelle parution est une excellente surprise qui se démarque dès le premier abord par sa grande beauté, son format pratique et son prix raisonnable.
Laissons-nous porter par le délice d’une première lecture de l’histoire en suivant le conseil des auteurs ; attendons avant d’attaquer la partie documentaire en fin d’ouvrage, avant de se replonger dans l’Histoire.
Ce roman graphique (bande dessinée sous forme de livre) réunit l’agréable au sérieux. Les dialogues restent au plus près des écrits de Louise. Scénario, texte et iconographie sont documentés minutieusement dans diverses archives, au musée Carnavalet, de Saint-Denis, en Nouvelle Calédonie, etc. La démarche et les sources des auteurs sont citées avec précision. La façon inhabituelle de présenter la partie documentaire renvoie aux pages du récit. Cerise sur le gâteau, les anglophones auront accès à une bibliographie d’ouvrages non traduits en français, qui est à compléter par les deux livres de Robert Tombs parus en français et par "La Commune n’est pas morte" d’Eric Fournier.
La construction narrative très originale renouvelle l’abondante production sur Louise Michel sans tomber dans le voyeurisme de la psychanalyse à deux balles concernant sa bâtardise, ses relations avec Hugo, Ferré, sa jeune compagne de fin de vie ou la Franc-maçonnerie : le jardin secret que Louise n’a pas dévoilé dans ses écrits, est respecté. Merci pour elle.
Résumer en 140 pages une vie aussi dense était une gageure impliquant des choix drastiques. Ceux des Talbot s’écartent des sentiers battus, mettant en avant Montmartre puis la Nouvelle Calédonie et l’Exposition universelle. Cela crée quelques frustrations chez les connaisseurs qui cependant apprendront beaucoup. Car ce réservoir de découvertes introduit des figures très méconnues de l’époque que je ne dévoilerai pas pour préserver la surprise. Qu’on se le dise, ce livre accessible dès le collège, met l’accent sur la romancière passionnée de technique et de science-fiction, n’abordant le glissement vers l’anarchie que dans la partie documentaire.
Nathalie Le Mel et Jean Allemane qui sont mis en scène, auraient mérité une notice ainsi que Reclus ou Paule Minck qui a l’honneur d’une photo. Les néophytes devront approfondir par eux-mêmes. Ne cherchez pas la célèbre phrase de Louise « le pouvoir est maudit, c’est pour cela que je suis anarchiste » intraduisible en anglais sans explications conceptuelles qui auraient alourdi le propos, m’a expliqué l’éditeur.
Les Talbot ont le grand mérite de ne pas instrumentaliser l’Histoire pour imposer une idéologie sous-jacente. Les pinailleurs pourront réveiller la polémique sur les 30 000 morts de la semaine sanglante, évoquée par trois doubles pages saisissantes presque sans texte, ou de la Commune dans son ensemble, ce qui ne change rien au fond. Cette BD qui se relit inlassablement est un cadeau indispensable pour vos amis, vos ados ou à suggérer pour vous-même. Régalez-vous !
Florence, émission "des cailloux dans l’engrenage - l’enfance poil à gratter" sur Radio Libertaire.