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A quel moment le Mexique a-t-il été foutu ?

Claudio Albertani et Fabiana Medina

dimanche 6 février 2022

Il y a plus d’un demi-siècle, Mario Vargas Llosa commençait Conversation à La Cathédrale, l’un de ses romans les plus célèbres, en se demandant : « À quel moment le Pérou a-t-il été foutu ? » Il faisait référence à la sombre dictature du général Odría (1948-1954) et, même si comparer le Pérou d’alors avec le Mexique d’aujourd’hui serait une erreur, la question circule avec insistance dans la presse et sur les réseaux sociaux : À quel moment le Mexique a-t-il été foutu ?
C’est peut-être exagéré, mais le fait que cette question soit posée est symptomatique. La vérité est que, malgré les attentes suscitées en 2018 par la victoire électorale du candidat de centre gauche Andrés Manuel López Obrador – populairement connu sous le nom d’AMLO –, le pays ne sort pas de la crise économique, sociale, culturelle, écologique, humanitaire et maintenant aussi sanitaire dans laquelle des décennies de gouvernements néolibéraux l’ont plongé.

Le Mexique n’est pas seulement l’endroit dans le monde où se produisent les ravages environnementaux, les massacres, les exécutions extrajudiciaires, le commerce du sexe, la corruption, les disparitions forcées et les féminicides de la manière terrible que nous avons essayé de résumer. C’est aussi un avertissement et un rappel : si nous, les humains, ne décidons pas de changer de cap, la catastrophe à venir sera d’une ampleur biblique.
Mais le Mexique est bien plus que cela. Comme des écrivains, des poètes et des voyageurs l’ont observé, et comme ses habitants le savent, c’est également un laboratoire de résistance, un lieu particulier où se rencontrent les utopies les plus diverses qui, de temps en temps, provoquent des explosions et des secousses sociales.

Dans ce panorama bigarré, les peuples autochtones occupent une place de choix. Rappelons que les luttes qu’ils ont menées pour préserver leurs modes de vie contre différentes formes d’exploitation, d’oppression et de domination ont toujours tourné autour de deux axes : des revendications légales pour faire valoir leurs droits et des rébellions armées périodiques. D’une certaine manière, l’histoire du dernier demi-siècle reproduit ce schéma à plus grande échelle.

À partir de 1968, des secteurs urbains, principalement les étudiants, les enseignants et les classes moyennes, ainsi que les ouvriers, les indigènes et les paysans se sont battus contre la dictature du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) par différents moyens. Une partie d’entre eux a rejoint les mouvements insurrectionnels dont certains sont encore actifs aujourd’hui, comme l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) et l’Armée révolutionnaire populaire (EPR).
D’autres ont participé à différentes luttes (dans l’enseignement, rurales, de quartier, environnementales, féministes...) toujours réprimées avec une grande violence, tant dans les campagnes que dans les villes. D’autres encore ont participé à la lutte électorale, en cultivant l’espoir d’une « transition » pacifique vers la démocratie représentative. Il s’agissait, en réalité, de différentes modalités d’une même lutte et il y avait plusieurs vases communicants.

La « guerre sale » a suscité des réactions différentes. En 1977, le Comité pour la défense des prisonniers persécutés, des disparus et des exilés politiques du Mexique, mieux connu sous le nom de Comité Eureka, a été fondé par l’infatigable Rosario Ibarra de Piedra, mère de Jesús Piedra, un militant disparu de la Ligue communiste du 23 septembre.
Surnommées affectueusement « las doñas » [les dames], les mères, épouses, filles, sœurs, proches des victimes ont gardé le doigt sur la plaie pendant plus de quarante ans, faisant de la mémoire un étendard de lutte – la mémoire des disparus et aussi la mémoire de ceux qui les ont fait disparaître.

Il faut ajouter que cette lutte n’est pas terminée : « Crime d’État ! » et « Ni pardon ni oubli ! », ont crié les membres de divers collectifs le 10 juin, au plus fort de la pandémie, en manifestant devant la maison de l’ancien Président Luis Echeverría (aujourd’hui âgé de 99 ans), l’un des principaux responsables de la guerre sale.

Le Mexique n’est pas seulement l’endroit dans le monde où se produisent des ravages environnementaux, des massacres, des exécutions, le commerce du sexe, la corruption, les disparitions et les féminicides. C’est aussi un avertissement : si nous ne décidons pas de changer de cap, la catastrophe à venir sera d’une ampleur biblique. Mais le Mexique est plus que cela.
Comme écrivains, poètes et voyageurs l’ont observé, et comme ses habitants le savent, c’est également un laboratoire de résistance, un lieu particulier où se rencontrent les utopies les plus diverses qui, de temps en temps, provoquent des explosions et des secousses sociales.

Dans ce panorama bigarré, les peuples autochtones occupent une place de choix. Les luttes qu’ils ont menées pour préserver leurs modes de vie contre différentes formes d’exploitation, d’oppression et de domination ont toujours tourné autour de deux axes : des revendications légales pour faire valoir leurs droits et des rébellions armées périodiques.


‌A quel moment le Mexique a-t-il été foutu ?
C. Albertani et F. Medina
Éditions Acratie, 84 pages, 12 euros