Le libéralisme est une pensée double : apologie de l’économie de marché, d’un côté, de l’État de droit et de la « libération des mœurs » de l’autre. Mais, depuis Orwell, la double pensée désigne aussi ce mode de fonctionnement psychologique singulier, fondé sur un mensonge à soi-même, qui permet à l’intellectuel totalitaire de soutenir simultanément deux thèses incompatibles. Pour sauver l’illusion d’une fidélité aux luttes de l’ancienne gauche, la nouvelle doit forger un mythe délirant : l’idéologie naturelle de la société du spectacle serait le « néoconservatisme », soit un mélange d’austérité religieuse, de contrôle éducatif impitoyable, et le renforcement incessant des institutions patriarcales, racistes et militaires. Ce n’est qu’à cette condition que la nouvelle gauche peut continuer à vivre son appel à transgresser toutes les frontières morales et culturelles comme un combat « anticapitaliste ».
Jean-Claude Michéa
La Double Pensée. Retour sur la question libérale
Article mis en ligne le 1er décembre 2008
dernière modification le 21 juin 2019