
Vif moderne babylonien, ce premier livre de Djuna Barnes rend hommage aux « répulsives » du New York des années 1910 : une danseuse déchue, une prostituée errante, une silhouette lascive aperçue depuis le métro aérien, le cadavre d’une suicidée à la morgue… autant de figures condamnées et cachées que Djuna Barnes — qui n’est pas encore l’autrice célèbre de l’Almanach des dames, chronique des cercles lesbiens du Paris des années folles illustrée « par une femme du monde » — fait scintiller par son trait noir aux mille lumières et son regard espiègle, sensible à la vivacité des corps, des désirs et des mondes qu’ils ouvrent.
Le Livre des Répulsives fait le portrait de ces corps dans l’espace qu’ils s’approprient et qu’ils projettent, par l’exercice assumé de leurs désirs et le contournement des stigmates du féminin, qui condamnent les autres au confinement, à la « vie défaite » de l’ordre victorien.
The Book of Repulsive Women est publié en 1915 à New York et vendu 15 cents. Son caractère sulfureux ne semble pas étranger au succès immédiat qui porte l’imprimeur éditeur Guido Bruno à augmenter rapidement le prix à 50 cents. Mais la représentation de relations sexuelles entre femmes est sans doute alors trop inconcevable pour être perçue par les ligues de vertu et le livre échappe complètement au scandale et à la censure. Alors qu’en 1928, Ladies Almanack - Almanach des dames, chronique plus ou moins cryptée de la vie lesbienne à Paris, imprimé en France, sera interdit de territoire américain, et son premier roman Ryder, qui paraît à New York la même année, y échappera à peine.
En guise de postface, « Miss Barnes » — pièce injouable en un acte — par Liliane Giraudon.