Kropotkine, l’un des principaux théoriciens du mouvement libertaire, adopta en 1916 une position de soutien à l’Union sacrée et signa un manifeste – le Manifeste des Seize – auquel se joignirent quatorze autres militants anarchistes et, ajouterons-nous, seulement quatorze (et non pas quinze). Ce ralliement de Kropotkine suscita un réel désarroi dans le mouvement libertaire, par tradition antimilitariste et opposé aux guerres. On s’est souvent interrogé sur les raisons de son choix. On a rarement essayé de comprendre pourquoi il a attendu 1916 pour le faire.
Élevé dans l’esprit de la philosophie des Lumières – toute sa pensée politique en est imprégnée – Kropotkine a fait des choix qui étaient en cohérence avec sa formation et sa culture.
Son erreur cependant ne fut pas seulement de signer le « Manifeste des Seize », elle fut aussi de penser que son acte pouvait servir à quelque chose : son choix n’influa en rien sur l’issue de la guerre. Les gouvernements de l’Entente n’avaient aucunement besoin de la signature de quinze anarchistes pour mener leur politique à terme.
L’auteur de Kropotkine et la guerre s’efforce de fournir une explication à la décision du révolutionnaire russe et choisit de ne pas s’en tenir au cadre étroit du mouvement anarchiste, mais de donner un tableau général en mettant en scène les acteurs de l’époque : la CGT, les socialistes français, les sociaux-démocrates allemands.
Le choix de Kropotkine reste inadmissible pour l’ensemble du mouvement libertaire d’aujourd’hui. Cependant, ce choix mérite au moins d’être explicité. L’ambition de l’auteur est de fournir aux militants d’aujourd’hui, souvent gênés face aux critiques qui leur sont faites, des arguments pour y répondre.
Car un autre choix aurait été possible ; un choix qui aurait contenu le même message que celui que Kropotkine voulait délivrer, mais qui aurait évité l’infamie de la signature de ce Manifeste. Ce choix, c’est une femme qui l’a fait, une militante proche de Kropotkine : elle s’appelait Marie Goldsmith.