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Agustin Guillamon

Barricades à Barcelone. La CNT de la victoire de juillet 1936 à la défaite de mai 1937

jeudi 17 septembre 2009

En accordant la priorité absolue à la lutte contre le fascisme, la CNT va aider l’Etat à se réapproprier le pouvoir acquis par les ouvriers les armes à la main. C’est la thèse que défend ce livre, qui entend nourrir la reflexion de tous ceux qui s’interrogent sur les chemins à prendre pour construire une société libérée de l’exploitation et de l’oppression.

[*Ces barricades dont nous parle Agustín Guillamón, ce sont d’abord celles dressées par les ouvriers de Barcelone le 19 juillet 1936 pour faire échec au putsch fasciste, puis celles qu’ils dressent de nouveau en mai 1937 en réaction à la reprise en main par le gouvernement catalan du central téléphonique occupé par la CNT.*]

Agustín Guillamón publie depuis plus de quinze ans une revue en espagnol, Balance (« bilan » en espagnol) dans laquelle on trouve des études, des documents et des témoignages sur la révolution espagnole, et tout particulièrement sur son déroulement en Catalogne. Il a par ailleurs publié un recueil de documents sur le trotskysme en Espagne entre 1936 et 1948, et participé à l’édition des œuvres de Manuel Fernandez Grandizo, dit Munis.Ce livre permet aux lecteurs francophones d’accéder aux résultats de ses recherches sous une forme ramassée. Il y retrace ainsi très précisément les préparatifs de la CNT et des quelques alliés qu’elle s’est trouvés pour empêcher la prise de Barcelone par les putschistes, et les affrontements qui se conclurent par la victoire de la population ouvrière. Il ne peut naturellement revenir en détail sur la façon dont la CNT s’est implantée dans cette population, une CNT qui, quelques mois encore avant Juillet, était illégale mais ce qu’il en dit suscitera à coup sûr la curiosité du lecteur. Ainsi, par exemple : « Dans les années 30, les comités de défense de la C.N.T. avaient recruté dans leurs rangs de nombreux ouvriers au chômage avec un double objectif : de solidarité, en leur payant un salaire, et de tactique pour éviter qu’ils ne deviennent des briseurs de grève. Ce recrutement fut toujours à la fois d’appoint et tournant, pour des raisons de solidarité et pour empêcher leur professionnalisation et aussi pour que passent par les comités de défense le plus grand nombre possible de militants, qui en cas d’urgence, constitueraient ainsi d’importants effectifs préparés pour le combat. »Après cette victoire se pose à la CNT la question des suites à lui donner : Guillamón rapporte les débats qui débouchent sur le renoncement de la part de la Confédération à prendre la direction de l’ensemble des activités sociales, tout en voulant conserver une influence décisive en matière économique, à travers un Conseil de l’économie, et militaire, à travers un Comité central des milices antifascistes qu’elle crée avec le gouvernement de Catalogne. Le Comité central des milices durera environ deux mois, et Guillamón en détaille les travaux.Dès cette période, la perspective de la révolution sociale s’estompe, et avec elle celle de la mobilisation massive des ouvriers et des paysans pour défendre la société nouvelle. L’affrontement de mai 1937 apparaît donc inéluctable, non seulement par son objectif premier – enlever aux comités de la CNT le contrôle du central téléphonique, qui leur permettait d’écouter toutes les conversations – mais aussi parce qu’il fait suite à d’autres remises en cause d’acquis autrement importants de la révolution : si les ouvriers catalans se sont mobilisés si rapidement à ce moment, c’est qu’ils bataillaient déjà depuis plusieurs mois pour défendre la socialisation des entreprises contre la mainmise étatique. La prise en charge collective de leurs entreprises par les travailleurs catalans, à l’échelle de la région, est une expérience unique dans l’histoire de l’Europe occidentale. Guillamón résume ce débat crucial :« La collectivisation transférait la propriété des petites et moyennes entreprises et des ateliers des mains des anciens propriétaires à celles des travailleurs, sans solidarité à l’égard des salariés des autres entreprises moins productives ou davantage en difficulté. Il s’agissait donc d’une propriété collective des travailleurs de chaque entreprise, bien que soumise à un fort dirigisme de l’État, car la gestion globale de l’économie était planifiée par le gouvernement de la Généralité, qui disposait de plus du contrôle financier, et donc de la possibilité d’étouffer les entreprises récalcitrantes, et de leur direction effective à travers son représentant qui de fait en devenait le directeur et le nouveau maître, délégué par le gouvernement. En réalité, la collectivisation n’était en fin de compte qu’un capitalisme collectif, dont la gestion était syndicale et la planification et la direction étatiques. La socialisation supposait l’organisation des travailleurs en fédérations ou syndicats d’industrie qui réorganiseraient et rationaliseraient la production de toute une branche industrielle, dirigée et planifiée par les syndicats et dont les bénéfices revenaient de façon solidaire à l’ensemble de la société et non aux seuls travailleurs de chaque entreprise. »Déjà, les milices avaient dû se plier au décret de militarisation, c’est-à-dire à leur transformation en unités de l’armée régulière, soumises à la hiérarchie et aux règlements de celle-ci. Cela, une partie des miliciens de la colonne Durruti, formée dès juillet 1936 par des militants de la CNT, ne l’acceptent pas et forment le Groupe des Amis de Durruti, qui non seulement prit une part active aux Journées de mai 1937, mais formula critiques et propositions à l’adresse des militants de la CNT. Guillamón y consacre un bonne part de son livre.Guillamón signale également la multitude de comités qui se sont mis en place en Catalogne, comités d’usine, comités de défense — souvent propres à une organisation — et comités locaux : « Ces comités révolutionnaires locaux étaient de véritables "États-villes", ou "comités-gouvernements", fixant amendes et impôts, recrutant des miliciens pour aller au front, formant des patrouilles de contrôle pour imposer leur autorité, réalisant des travaux publics financés par des impôts révolutionnaires pour résoudre le chômage massif, instituant un nouveau modèle éducatif rationaliste, réquisitionnant des vivres, etc. Les mairies avaient été remplacées par ces comités locaux, qui réduisaient à néant l’influence qu’aurait pu avoir la Généralité. » Il leur voit comme défaut l’incapacité à se coordonner : « Mais la faiblesse des comités fut de ne pas avoir pu se consolider en tant que véritable pouvoir alternatif à l’échelle de toute la Catalogne, grâce à l’aide d’une organisation révolutionnaire partisane de la coordination et de la centralisation, et encore moins d’avoir pu se consolider contre toutes les organisations existantes. »Ainsi, Guillamón, et ce n’est pas le moindre intérêt de son livre, porte un regard critique sur l’action de ces différents comités, leurs relations avec les organisations ouvrières, et aussi sur la politique suivie par les dirigeants de la CNT — cet « anarchisme d’État » dont parlait Federica Montseny. Il le fait au nom d’une sorte de schéma normatif, idéal, du déroulement de la révolution, déjà exprimé à l’époque par la Fraction de gauche italienne. Il ne faut prendre ce schéma que pour ce qu’il est, un outil pour approfondir les causes de l’échec de ce qui reste la tentative de révolution sociale la plus vaste et la plus avancée qu’ait connue l’Europe occidentale.


Spartacus, 220 pages, 15 euros