Daniel Guérin est une figure atypique, iconoclaste, tant son parcours cristallise toutes les facettes des courants révolutionnaires et émancipateurs du XXe siècle (il naît en 1904 et meurt en 1988). Du Front populaire à mai 1968, Guérin a été le témoin des grandes séquences insurrectionnelles en France. Proche du trotskisme puis figure emblématique du communisme libertaire, il a toute sa vie été un antistalinien convaincu.
Sa traversée du siècle l’a mis au premier plan des luttes anticolonialistes et il s’avère être aussi un pionnier du mouvement de libération sexuelle des années 1970 (il publie dès 1954 Kinsey et la sexualité, qui dénonce la répression de l’homosexualité et participe aussi bien d’Arcadie que du FHAR). Guérin est une des rares figures transversale, qui fait écho à toutes les traditions des gauches intellectuelles et critiques d’aujourd’hui.
Il a été de tous les combats, et surtout à la pointe de tous les combats - si bien que les thématiques portées par cette autobiographie de jeunesse sonnent aujourd’hui de manière très actuelle. Une thématique forte qui reste le fil conducteur de son récit traduit un nœud des débats contemporains : l’imbrication entre l’exploitation capitaliste, le racisme et les oppressions sexuelles. Cet ouvrage se propose de raconter le parcours initiatique par lequel la prise de conscience homosexuelle de l’auteur (issu d’un milieu petit-bourgeois) le conduit à rejoindre le mouvement ouvrier révolutionnaire et à adopter une sensibilité profondément anti-impérialiste.
Guérin, dans un style admirable, fait le récit tendre et romanesque de sa découverte d’une sexualité sans concession, de ses aventures multiples, dans la France du début du siècle. C’est dans cette explosion affective de sa vie de jeune adulte que Guérin, au gré de ses amants et amantes, fait la rencontre du prolétariat. Dans ces quelques décennies de jeunesse, l’impatience, le désir mais aussi l’ennui, poussent l’auteur à la découverte du monde colonisé, notamment au Moyen-Orient.
Des amitiés inattendues, celle de Mauriac, Gide, Massignon, mais aussi du petit-fils de l’Emir Abd el Kader, forgent l’esprit indépendant et vif d’un militant révolutionnaire hostile à tout conformisme de parti ou de chapelle. Au fil des pages, l’histoire personnelle de Guérin déploie tant les événements de la grande histoire (jusqu’au milieu des années 1930) que la vie passionnelle de l’auteur : comment le désir fraye sa trajectoire identitaire ou brouille au contraire les places assignées à chacun.
Du Paris ouvrier à la Palestine et la Syrie sous mandat, en passant par l’Indochine, Guérin fait revivre un temps où les espérances de la révolution d’Octobre sont au premier plan de la scène mondiale et où l’Empire colonial débute son inexorable effondrement.