Pensé comme une arme de combat, le livre Prostitution coloniale et postcoloniale – premier opus d’une collection lancée par La Colonie Éditions – a pour objectif d’éclairer les liens systémiques entre colonisation et prostitution au travers d’une relecture de ce que fut le réglementarisme colonial.
Centré sur le travail de l’historienne Christelle Taraud, spécialiste de la prostitution coloniale au Maghreb, l’ouvrage souhaite cependant, aux travers des contributions de la politologue Françoise Vergès et de l’écrivain Arno Bertina, discuter des nombreux héritages de cette histoire dans notre contemporanéité, ici et là-bas.
De même, parce qu’il repose sur la symétrie des expertises, le livre fait une large place, dans une conversation nourrie et fructueuse, aux liens qui peuvent se nouer entre chercheur-e-s, activistes et/ou artistes. Ce que traduisent bien les propositions des artistes Kader Attia, Pascale Obolo, Souad El Maysour et de l’écrivaine Hélène Azera qui font écho, dans le passé comme dans le présent, aux témoignages, aux récits et aux œuvres des travailleuses du sexe elles-mêmes telles Germaine Aziz, Grisélédis Réal, Myln Juste ou bien Aying.
En mettant l’accent sur la polyphonie des voix, la diversité des discours et la pluralité des actions, ce livre singulier a donc pour objectif de donner la parole – en la prenant au sérieux au-delà des discours fantasmatiques et/ou victimaires et misérabilistes – aux individus prostitués dans un dialogue permanent et fécond avec les artistes et les chercheur-e-s : une démarche qui en fait un objet, pédagogique et politique, autant vital qu’atypique.
La Colonie est un espace physique et intellectuel de partage d’idées et de savoirs, un lieu de luttes anticoloniales, qui vise d’abord la réappropriation et la transmission des récits issus d’individus ou de groupes minorisés et stigmatisés, trop longtemps opacifiés par le fleuve tranquille du discours officiel dont le recyclage permanent fragmente l’activisme et la société.
Décoloniser l’hégémonie des grands récits nationaux et néolibéraux, c’est aussi inventer, en effet, de nouveaux outils concrets de lutte, sur le terrain de l’action culturelle et politique décoloniale.