Sol glacé, doigts gelés, horizon givré. Un matin de décembre, bonnets enfoncés jusqu’au cou, une petite équipe de Z avance dans un genre d’inconnu. Banlieue rouge depuis près d’un siècle, Vénissieux a vu sortir de terre la première ZUP de France en 1967, mais aussi les « rodéos » avec les flics, les émeutes de 1981, et deux ans plus tard la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Une époque marquée par la guerre d’indépendance algérienne, la double peine, mais aussi les luttes contre les crimes racistes, les concerts de rock en plein air, les médias indépendants, les occupations de logements vides, autant de lignes de force pour vivre et habiter autrement le quartier.
Des expériences que l’on a tenté de retrouver, celles des habitants des cités HLM, majoritairement des « héritiers de l’immigration », comme s’appellent certains de ceux que l’on a rencontrés. D’autres disent « les non-blancs » ou encore « les indigènes ». À Vénissieux, on entend surtout « les deuxième et troisième générations », « les rebeus », voire « les noirs et les arabes ». Pour celles et ceux dont nous relayons ici la parole, aucun mot ne convient vraiment. Et pour cause, chaque désignation comporte sa part d’assignation. Aucune formule ne résume la complexité des identités.
Et nous, à quel nom répondons-nous ? C’est face au miroir tendu que nous le cherchons. « Blanches » et « blancs », nous avons grandi au sein de cette majorité qui n’a pas tant besoin de se nommer. Nous vivons le désert climatisé, le capitalisme, le sexisme, mais pas le même quotidien teinté de racisme, de mépris et d’humiliations.
Nous auscultons une République qui se raconte à grands coups d’ « État de droit » garantissant l’ « intérêt général » par l’encadrement du conflit social dans des procédures bien huilées. Ce mythe est régulièrement utilisé contre tous ceux qui débordent le cadre : « corporatistes », ces ouvriers. « Obscurantistes », ces antinucléaires. « Violents », ces opposants au nouvel aéroport nantais.
Avec le mot d’ordre de « l’intégration », l’impact de la fiction républicaine prend encore une autre ampleur : c’est toute une partie de la population qui est sommée de se faire discrète, de s’assimiler. En somme, de rester à sa place, et de dire merci. L’« intégration », sur un air de laïcité, c’est l’exclusion de femmes musulmanes. Quand ces femmes se battent au boulot, à l’école, dans les tribunaux qui classent sans suite l’assassinat d’un proche par l’ordre policier, le son est coupé. Mais en tendant l’oreille et en se calant sur d’autres tonalités, on entend gronder les refus et la solidarité. En cherchant d’autres voies que celles de l’uniformité, on perçoit des failles, se dessinent des alliances.
Edito Z n°8