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Néons
Denis Belloc
Article mis en ligne le 25 janvier 2024
dernière modification le 27 mai 2024

par Libraire

C’est un jeudi soir, je vais faire des commissions rue de l’Ouest mon filet à provisions dans la main et un papier dans la poche de mon short. 1 kilo de pommes de terre, 1 laitue, 1 kilo de bananes (pas trop mûres et les moins chères). Il y a un grand type avec des moustaches très noires à l’autre bout de la pissotière, je regarde la queue de mon voisin mais ça m’intéresse pas, je préfère l’homme à la moustache, alors je sors de la pissotière, je vais rue de l’Ouest, il y a des marchandes de quatre-saisons et la pluie se met à tomber très fort, je m’abrite dans l’entrée d’un immeuble, il me rejoint, il dit : “T’es joli garçon, on pourrait se revoir ! Attends, je sors mon agenda.” C’est pas un agenda, c’est un portefeuille, il l’ouvre et il me montre une carte avec deux traits rouge et bleu, il dit : “Police, je t’emmène”, alors je me mets à trembler et à transpirer, je veux fuir mais je sens plus mes jambes, il demande :
“Ça fait longtemps que tu fais ça ? T’as quel âge ?
– J’ai douze ans et demi…
– T’as des papiers sur toi ?”
Je sors ma carte de famille nombreuse.
“Tes parents sont au courant ?
– Non, non, monsieur !
– Bon, écoute-moi bien : tu vas filer et si je te revois là-bas, je t’embarque au poste.”
Il part et je respire très fort.
À la loge elle dit : “Merde, t’as oublié les bananes.” Et ce soir-là j’apprends ma leçon par cœur et je remets pas les pieds dans la pissotière pendant deux mois.
Je veux plus de shorts, je veux des pantalons.

Livre phénomène, salué par la critique lors de sa parution en 1987, Néons est un récit exutoire, sans fard ni limites.

Dans ce texte écorché et douloureux, qui n’est rien d’autre qu’une quête éperdue d’amour, Denis Belloc revient sur ses années de jeunesse : l’enfance sans père, sa mère remariée à un homme qui le maltraite, la découverte à onze ans de son homosexualité dans une pissotière, l’errance puis la prostitution sur les boulevards de Pigalle à Barbès.

La force du récit est de ne rien excuser ni juger de cette dérive implacable et parfois miraculeusement lumineuse. Il n’y a chez Belloc ni misérabilisme, ni regret, juste le pouvoir implacable d’une langue dont l’obscénité et la cruauté tour à tour révulse et fascine.