Structurée autour de la trajectoire militante « espagnole » de Bernard Pensiot (1948-2018) – qui lui valut, comme son copain Victor Simal, d’être encabané à la Modelo de Barcelone huit mois durant –, l’étude de David Rappe relève d’un double pari : rendre hommage à cet activiste de l’ombre et tenter, sans mythification ni simplification historique, de restituer ce qui se joua autour de cette météorique reconstruction-déconstruction de la CNT (Confédération nationale du travail) de la fin des années soixante-dix. Période qui amena aussi Bernard à se consacrer, lors de sa détention, au grand mouvement des prisonniers d’Espagne regroupés dans la Coordination des prisonniers en lutte (COPEL) pour l’amnistie générale.
Espoirs déçus marque un nouveau jalon dans l’histoire de cette période où, par un effet un peu mécanique de volontarisme et de réémergence mémorielle conjugués, la CNT sembla retrouver une clarté seconde et réinventer un possible perpétuel. À vrai dire, nous y avons cru, ou plutôt nous croyions qu’elle avait toutes les raisons de renaître, porté·e·s que nous étions par l’illusion qu’aucun mouvement libertaire conséquent ne pouvait exister en Espagne, terre d’anarchisme par excellence, privé de son axe central, à savoir son organisation de classe…
La focale qu’adopte David Rappe dans son texte offre une vision éclairante sur une frange remuante du jeune mouvement libertaire espagnol qui, à partir de 1976, se développa, sur les marges d’une CNT ouverte à tous les vents, en recyclant des pratiques quotidiennistes issues de 1968, corrélées à certaines appétences pour le spectacle de la lutte armée. C’est une histoire d’autant plus mal connue que celles et ceux qui la firent, la vécurent et, pour nombre de ses protagonistes, s’y brûlèrent les ailes ; ils se voulaient plus adeptes des parcours buissonniers que des sentiers balisés.
C’était ne rien comprendre à la logique même de ladite transition-transaction « démocratique » dont le principal projet, de « droite » postfranquiste et de « gauche » antifranquiste, consistait précisément à marginaliser le franquisme systémique et oligarchique avant de le démanteler, condition nécessaire pour rallier le monde « libre » de la démocratie représentative du profit maximal. Autrement dit, on changeait d’époque. L’Espagne avait cessé de se prétendre « différente » : elle voulait être désormais une partie du Tout-Capital, la pointe avancée du Grand Marché européen.