Soirée du dimanche 7 septembre 1919. La galerie Vittorio Emanuele II, à Milan. Ici, les richesses, matérialisées dans des pierres grises, et le privilège, célébré dans des voûtes monumentales, accueillent la haute bourgeoisie milanaise venue se reposer et digérer le travail hebdomadaire – l’exploitation des pauvres – aux petites tables des cafés chics.
C’est la même bourgeoisie qui, quelques années avant, a fait des affaires grâce à la Grande Guerre ; la même bourgeoisie qui, il y a seulement six mois, dans cette même ville, a adoubé le fascisme pour se défendre de la menace subversive qui a émergé de la révolution russe.
Tout à coup, en cette soirée de fin d’été, une explosion déchire l’air et sème la panique dans le présent. Une bombe, destinée peut-être au restaurant Biffi, peut-être au Club des Nobles, explose avant le terme prévu. L’unique victime est l’auteur de l’attentat. Son nom est Bruno Filippi, il a à peine plus de dix-neuf ans. Mais, à cause de sa fougue antimilitariste, il a déjà connu la prison. À cause de son espoir dans une catastrophe palingénésique, il a déjà combattu dans les tranchées. À cause de son impatience révolutionnaire, il s’est déjà confronté avec les réformateurs de gauche.
Anarchiste individualiste, d’un côté il n’aime pas la foule qui se lamente et implore un paradis futur ; d’un autre côté, il hait la clique qui commande et opprime dans l’enfer du présent. Pour la première, il diffusera ses écrits iconoclastes, à la seconde, il jettera sa dynamite et son vitriol.