Léon Collin est mort en 1970. Il a subi la boue des tranchées ; il a vécu la défaite de 1940 et l’occupation ; il a navigué sur toutes les mers du globe et a vu la presque totalité de cet empire français où le soleil ne se couchait jamais. Il a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il s’occupe du transport sur le vapeur le Loire des condamnés aux travaux forcés. Chargé de mission pour les services épidémiologiques, il passe ensuite trois ans en Nouvelle Calédonie de 1910 à 1912. Rien pourtant ne prédisposait ce jeune médecin de l’armée coloniale, homme de son temps, un brin réactionnaire mais profondément humaniste, à affronter l’horreur du bagne. Qui aurait pu deviner que ce fils de négociant en vin bourguignon serait marqué à vie par son expérience ? Les éditions Libertalia ont eu la bonne, la très bonne idée de publier ses carnets de notes.
Quelques extraits seulement des notes du Dr Léon Collin ont paru dans la presse française de la Belle Epoque et de l’Entre-deux-guerres. Les deux cahiers relatant son expérience dormaient dans le grenier de la maison familiale. Ils ont été redécouverts par Philippe, son petit-fils. Au même titre que l’inestimable ouvrage du docteur Louis Rousseau, Un médecin au bagne, ils constituent un document historique fondamental - et totalement inédit - sur les prisons à ciel ouvert de la France coloniale, et sur ces criminels que la métropole a cherché à éloigner. C’est alors à une condamnation a fortiori d’un système éliminatoire et totalitaire que se livre le médecin dans ses papiers et dans ses 146 clichés. Un carnet, un appareil photographique, ce n’était pourtant au départ que de simples souvenirs de voyage. Au mieux, on pourrait croire à un bien surprenant guide de voyage. Mais la plume et l’image vous font progressivement glisser dans une réalité pénible à dire, à voir et à sentir. De la Guyane à la Nouvelle Calédonie, le bagne c’est la mort, la souffrance et l’échec de toute une politique répressive. L’horreur est carcéral et, comme l’écrit Alexandre Jacob à l’écrivain Georges Arnaud en 1954 : les pratiques pénitentiaires françaises correspondent plutôt à une vieille barbarie qu’à une civilisation. Bien avant Albert Londres, et surtout à une époque où l’Administration Pénitentiaire règne en maître sur ces terres ultramarines, Léon Collin montre « la vie » et la mort des hommes punis. Des hommes … et des bagnes, une incroyable galerie de portraits, des célébrités (Manda, Ullmo, Soleilland, etc.), une foule d’anonymes aussi. Des espaces exotiques à couper le souffle. Mais, comme l’a écrit l’avocate Mireille Maroger en 1937 : « De ce paradis, les hommes ont fait un enfer ». De la création officielle du bagne en 1854 au dernier envoi de condamnés en 1938, ils furent plus de 100 000 à venir s’échouer sur ces terres de Grande Punition.
Parce qu’il s’agit d’un document à caractère exceptionnel, Libertalia a choisi d’en faire un « beau livre » restituant le caractère initial des carnets : couverture en toile du Marais, marquage couleur, signet, coutures, et papier Munken Lynx. A lire de toute urgence, sans modération … et sans avis médical.