Édition établie et présentée par Martin Pavelka | Préface de Franck Chaumon
À l’heure où l’activité des soignants en psychiatrie est toujours davantage soumise à des considérations gestionnaires, la lecture des textes de Tony Lainé apparaît salutaire. Psychiatre et psychanalyste longtemps proche du Parti communiste français avant de s’en détacher, Tony Lainé (1930-1992) s’est employé sans relâche à défendre la nécessité d’un service public de santé mentale attentif non seulement aux souffrances psychiques des patients, mais aussi à leur condition socio-économique.
Si la question de la folie a toujours été nouée au politique, c’est en France que ce lien a été pensé comme tel. Impossible de penser l’acte libérateur de Pinel hors de la lutte contre l’absolutisme, impossible de dissocier la critique de l’asile des nouveaux modes de solidarité nés dans la Résistance.
Aujourd’hui, l’idéologie scientiste refoule violemment ce fait historique, pour s’en tenir au récit convenu de la science en marche. On évite ainsi de penser certains faits et l’on s’en tient à un florilège d’anecdotes, plutôt que de tenter de penser ces moments d’invention qui ne cessent encore aujourd’hui de faire « modèles de contraste ».
C’est pourquoi il est essentiel de faire retour à ces temps d’utopie concrète pour tenter d’en faire transmission, dans leur diversité et leurs contradictions.
Un nom fait sens pour tous ceux que concerne la pensée de cette époque, celui de Saint Alban. De ce lieu mythique, de cet asile du bout du monde partira l’essentiel des mouvements qui auront bouleversé la psychiatrie française. L’hypothèse de Saint-Alban est simple à énoncer : changer les rapports entre les humains (soignant·e·s et soigné·e·s) constitue la perspective majeure d’un nouveau rapport à la folie. Le mouvement de psychothérapie institutionnelle a constitué la pointe avancée de cette deuxième « révolution psychiatrique », centrée sur l’institution. Mais on méconnaît souvent que le courant du désialénisme, distinct dans son orientation et dont la figure de proue fut Lucien Bonnafé, trouve également là son origine.
C’est dans cette perspective qu’il faut situer la pensée et l’action de Tony Lainé (1930-1992) et la place qu’il a donnée à la psychanalyse. Ce psychiatre spécialiste de l’enfance et de l’autisme est surtout connu du grand public pour ses livres et documentaires télévisés réalisés en collaboration avec le cinéaste Daniel Karlin (La Raison du plus fou en 1977 ou L’Amour en France en 1989). Politiquement engagé au parti communiste, il présida la Commission de la santé du comité central du PCF. Praticien, militant, il est l’auteur de nombreux articles liant psychiatrie, psychanalyse et politique.
Le Défi de la folie réunit les textes de Tony Lainé parus dans la presse et dans des revues spécialisées ou militantes. Il s’accompagne d’inédits issus des archives du fonds Tony Lainé conservé à l’IMEC. L’ouvrage permet de se replonger dans les débats d’une période décisive, celle de l’après mai 1968 et la poursuite active des utopies, à la bureaucratisation et la gestion managériale des hôpitaux-entreprises. Les analyses et les réflexions de Tony Lainé éclairent ainsi les enjeux actuels de la psychiatrie.
Tony Lainé n’envisageait pas le travail d’attention et d’accueil de la folie autrement que collectivement par le partage et les initiatives de chacun, soignants ou non. Engagés, les professionnels se devaient d’être formés en continu pour parfaire leurs savoirs et comprendre la position d’humilité qui est la leur dans le cheminement du soin. C’est ainsi que la rencontre avec les Ceméa, mouvement d’éducation populaire et d’éducation nouvelle s’est nouée à Poitiers dès son premier poste dans un service d’enfants dans les années 1960. Les activités du service, les fêtes, le journal se faisaient en lien étroit avec les équipes des Ceméa et les soignants participaient régulièrement aux stages tout, comme Tony Lainé, qui en devint l’un des intervenants. Son engagement militant dans l’association de formation s’est poursuivie jusqu’à sa disparition, en 1992.