Il y eut, dans la longue histoire de la vie, un moment où notre espèce quitta le monde muet de l’immanence. L’apparition de la conscience et du langage marque le moment où l’être humain s’est temporairement séparé du règne animal, où la nécessité subitement s’est fait sentir de constituer un fonds de mémoire verbal à partir duquel a pu se déployer un nouveau regard dont la perspective n’a cessé de s’élargir depuis.
Dans ce concentré d’une réflexion rare, claire et précise, Bernard Noël examine les caractères d’un mal dont les effets sont orchestrés par les dominants depuis les écrans fixes ou mobiles. La constante monopolisation de notre espace mental a désormais tout d’un cancer qui se serait insidieusement généralisé et menacerait maintenant d’envahir les dernières « civilisations hors images » qui ont échappé au fléau.
Nous sommes à un tournant décisif de notre histoire qu’il s’agit d’aborder en pleine conscience et qui, si nous n’y prenons garde, pourrait bien devenir le point de basculement à partir duquel, fatiguée de nos excès, la vie se retournerait contre nous pour nous retirer ce qu’elle nous avait accordé sans compter : la possibilité d’être tout en restant conscients de ce que nous sommes…