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Pascal MATRAT Ras-les-murs/groupe Berneri

Reich, politique et révolutionnaire

lundi 7 décembre 2009

Si pour nombre d’entre nous le nom de Wilhelm Reich (né en 1897) fait partie des noms qui résonnent dans l’Histoire, peu connaissent véritablement son œuvre. Dans « Introduction à la psychanalyse de Reich » paru chez Chronique Sociale, Jacques Lesage de La Haye dépeint de manière très fouillée et étayée la vie de W. Reich et en particulier son engagement politique et militant. Pas à pas, en ce début de XXème siècle, l’ouvrage retrace l’histoire et le contexte de chacune de ses prises de conscience. C’est d’abord comme médecin, élève de Freud, que Reich commence sa carrière. Brillant théoricien, il se distingue rapidement de son mentor, et notamment quand celui-ci abandonne le concept de « Libido » au profit de celui de « Pulsion de mort ». Pour Freud, la destructivité, la haine, le sadisme, le désespoir sont le résultat de cette pulsion inhérente à l’Homme, qui le pousse à se détruire si la « Pulsion de vie » ne peut équilibrer la balance. Face à cette option théorique, Reich s’inscrit en faux et continue à développer le concept de « Libido » qu’il appellera ultérieurement « l’économie sexuelle ». À travers les événements que nous relate l’auteur , il apparaît que cette divergence est capitale dans l’histoire des deux hommes. En mettant en avant la pulsion de mort, c’est à dire en attribuant toute forme de destructivité à l’individu (ainsi désigné comme malade), Freud a occulté tous les dysfonctionnements de nos sociétés et a ainsi définitivement écarté toutes les causes sociales et politiques de la souffrance individuelle. Nous constatons alors, que là où Freud décide de rester dans une conception bourgeoise et confortable de la névrose, Reich prend la décision de pousser plus avant ses investigations sur le sujet. Déjà théoricien remarquable, Reich s’engage sur le terrain social pour mieux appréhender les conditions de vie des masses. Très vite, il fait des constats accablants sur leur quotidien. Il trouve face à lui des individus aliénés par le travail, privés des besoins fondamentaux nécessaires à l’éducation et à la connaissance, souffrant pour beaucoup de misère affective et sexuelle. Jacques Lesage de La Haye nous montre bien que pour Reich, il s’agit là d’une prise de conscience politique sans précédent. Dès lors, toute son énergie se tourne vers le combat politique pour aider à changer le fonctionnement pathologique de la société. Dès lors, et contrairement à Freud, Reich pense que la destructivité des individus n’est pas le résultat d’une quelconque pulsion mais découle de leurs conditions d’existence et notamment de leurs instincts sexuels non satisfaits. C’est ainsi que Reich devient un farouche militant politique. L’auteur fait état des nombreuses initiatives de Reich et souligne sa détermination à changer les mentalités et les pratiques. En tant que psychanalyste, Reich fait en sorte que la psychanalyse s’engage dans ce combat. Bien évidemment, ses prises de position et ses engagements ne trouveront que peu d’échos dans une profession déjà bien installée dans la bourgeoisie. Mais, ce manque d’adhésion ne dissuade pas Reich qui s’engage au sein du parti socialiste et du parti communiste pour défendre la cause ouvrière. Parallèlement, avec d’autres professionnels de santé, il créer des cliniques gratuites pour les défavorisés afin d’y dispenser de l’information et des soins. Le succès de ces cliniques est tel que Reich et les équipes qui l’accompagnent sont obligés de multiplier leurs interventions. Nous voyons que c’est ce travail de terrain qui renforce les convictions politiques de Reich. L’auteur rapporte ce qu’il écrit à cette occasion : la « douleur de l’être humain n’est pas seulement psychologique. Elle est aussi sociale et économique. ». Il ajoute ensuite que la détermination de Reich à vouloir explorer « les liens qui unissent les mécanismes psychologiques aux phénomènes sociaux-politiques », l’amène à y consacrer toute son énergie et son argent. C’est ainsi qu’en 1931 Reich va créer SEXPOL (SEXologie POLitique). A travers quelques 80 associations, SEXPOL va largement diffuser de l’information et de la prévention sexuelle. Cette initiative fonctionne tellement bien qu’elle va constituer une véritable force politique et militante avec notamment 350000 membres. L’objectif de SEXPOL nous est révélé par sa plate-forme : « programme et action de réforme radicalisés, intégrés à un combat économique et politique anticapitaliste et antifasciste ». L’avènement du nazisme en 1933 sera une tragique illustration des thèses de Reich (« Analyse de masse du fascisme ») mais surtout, il se traduira par l’anéantissement de ces initiatives collectives hors du commun que nous pourrions qualifier de révolutionnaires. Les œuvres de Reich sont jetées dans les flammes de la peste brune. Obligé de fuir, Reich s’installe finalement aux États-Unis pour y poursuivre son œuvre et ses recherches. Mais là encore, dans le contexte d’une Amérique conservatrice et empreinte de Maccarthysme, Reich est à nouveau inquiété. Il se voit traité de pornographe et là encore ses ouvrages sont brûlés. Reich fait ainsi le constat que même les démocraties éduquent les individus en vue d’une soumission à l’autorité. Revenu de tout esprit partisan, Reich propose la « Démocratie du travail » pour permettre au travailleurs le libre choix de leur organisation, c’est à dire l’autogestion. De même, il propose que la politique ne soit plus entre les mains des politiciens, qui divisent pour mieux régner, afin qu’elle soit remplacée par la gestion directe de la société.
Dans cette présentation de la psychanalyse de Reich, l’auteur nous fait découvrir, non seulement un homme d’action mais aussi un concepteur hors du commun. En effet, l’engagement politique de Reich s’accompagne d’une théorisation extrêmement rigoureuse du concept de « génitalité » (qui correspond à la satisfaction sexuelle). A l’aide de cette théorie, il montre notamment comment la répression sexuelle, organisée par l’état et relayée par la famille autoritaire, conduit à la soumission, à la maladie mentale et au totalitarisme. À la fin des années vingt, toujours pour comprendre et étudier le primat de la génitalité dans la constitution des névroses, il publie un ouvrage fondamental intitulé « La fonction de l’orgasme ». Dans celui-ci, il met en avant la notion de « capacité orgastique » qui correspond à la capacité à s’abandonner aux mouvements involontaires du corps quand il éprouve du plaisir. Quand la capacité orgastique d’une personne est entravée ou réduite pour des raisons qui tiennent à son histoire, c’est parce qu’elle s’est fabriquée une « cuirasse » à la fois psychologique et corporelle. Cette structure caractérielle, qui trouve sa traduction sur le plan somatique, se superpose à la structure sociale et reproduit inévitablement l’idéologie dominante. La personne fondamentalement frustrée prend ainsi appui sur la morale sociale, qui elle même repose sur la répression sexuelle, pour échapper à sa souffrance. Reich dit alors que la personne cuirassée souffre de « peste émotionnelle » et qu’elle s’applique alors, personnellement ou collectivement, à réprimer toutes formes de vitalité pour ne pas avoir à se retrouver face à sa propre misère affective et sexuelle.
Dans son ouvrage, Jacques Lesage de La Haye nous montre bien qu’hier comme aujourd’hui la question de l’orgasme exacerbe toutes les idéologies. Il y a ceux qui condamnent cette théorie au nom de la morale sociale et il y a ceux qui la récupèrent au nom de leurs dérives et de leurs excès (parfois sectaires). D’ailleurs, il souligne que la fonction de l’orgasme a été si scrupuleusement traitée par Reich que les psychanalystes de l’époque ont réagi de manière très défensive. Freud, pour sa part, s’est contenté de rester neutre et bienveillant…
Il apparaît nettement que la vision bio-psycho-politique de l’individu ne va pas quitter Reich jusqu’à sa mort en 1957 à la prison de Lewisburg. L’introduction à la psychanalyse de Reich nous présente un homme audacieux, tenace, méthodique, inventif, combatif, qui n’a capitulé devant aucune adversité. Et que c’est à partir de son engagement politique et militant qu’il a mis au point une thérapeutique révolutionnaire qui tient compte de la dimension économique et sociale du sujet. Et, plus encore, elle tient compte de sa dimension corporelle. Le corps, si inquiétant pour l’orthodoxie psychanalytique, n’est pas tabou dans l’approche de Reich. Le corps parle, alors il faut l’écouter et l’aider à se défaire de ses inhibitions (ou « stases énergétiques ») pour lui permettre de retrouver une libre circulation de son énergie. Reich a rigoureusement mis au point tous les outils nécessaires à cette libération : la lecture corporelle, le toucher, le massage, les « agirs neuromusculaires » (ou « actings ») permettant la libération progressive de l’énergie… Autant d’outils très bien décrit dans cette « Introduction à la psychanalyse de Reich ».
À propos de ces techniques, Jacques Lesage de La Haye souligne que Reich, en tant que thérapeute engagé n’a pas fait de la neutralité bienveillante une règle absolue. Le toucher pouvant aider le patient à décharger le poids de ses inhibitions. Enfin, cette libération psychocorporelle, qui n’est pas simplement intellectuelle, nous permet de comprendre comment, au delà du simple environnement familial, la société participe à la répression de notre énergie vitale pour nous inculquer la culture de la soumission. Dès lors, la libération énergétique permet non seulement un mieux-être personnel mais aussi la prise de conscience politique. En théorie comme en pratique, nous constatons que la génitalité, c’est à dire le type génital, est révolutionnaire, à contrario du type névrosé qui est autoritaire, soumis ou en souffrance.
À travers l’écrit de Jacques Lesage de La Haye, nous constatons que Reich a été (et demeure toujours) trop politique pour les psychanalystes et trop psychanalyste pour les politiques, et qu’en définitive c’est l’indépendance de Reich qui n’a jamais été acceptée. Il aura échappé à toutes les formes d’endoctrinement pour promouvoir l’esprit critique et la libre pensée. Cet écrit, nous montre qu’il est également à l’origine de bien des initiatives et de nombreux courants de pensées. Que ses œuvres et ses travaux ont été repris et développés aux quatre coins du monde. Que l’esprit et l’engagement politique de Reich se diffuse aujourd’hui à l’aide de femmes et d’hommes qui souhaitent promouvoir « la génitalité » et donc, la liberté. Gérard Guasch fait parti de ceux-là. Il a permis à beaucoup, à travers la création d’instituts et d’écoles (à Paris et au Mexique), de se former à l’approche Reichienne.
Cette pensée et cette pratique, que nous lègue W. Reich au travers de nombreux ouvrages constitue pour Jacques Lesage de La Haye un apport fondamental qui permet de combler le fossé (par ailleurs entretenu par les tenants de la morale) entre la thérapie individuelle et la lutte politique et sociale. Il ajoute que cette approche « envisage l’Homme et le monde dans leur ensemble, sous l’angle de l’énergie, ce qui exclut toute rupture entre la thérapie et la lutte sociale ». En tant qu’analyste Reichien (ayant créé avec Gérard Guasch le Cercle d’Étude Wilhelm Reich de Paris puis avec Viviane Dondelinger le Cercle d’Étude Wilhelm Reich de Lyon), et, en tant que militant politique anarchiste (très investi sur la question carcérale), Jacques Lesage de La Haye (lui-même auteur de nombreux ouvrages) s’inscrit incontestablement dans la filiation des idées et des pratiques élaborées par W. Reich. C’est certainement pour cela qu’il a su saisir de manière aussi riche et subtile les fondements de la psychanalyse de Reich et décrire avec beaucoup de précisions les interactions profondes étudiées par Reich qui existent entre l’individuel et le collectif, le thérapeutique et le politique. Avec ce livre d’introduction à la psychanalyse de Reich, qui s’ajoute à ses nombreuses actions militantes, Jacques Lesage de La Haye fait bien plus que nous présenter la vie, l’œuvre et surtout l’engagement de W. Reich, il perpétue ses idées et prolonge son combat pour, lui aussi, promouvoir la génitalité et faire disparaître à jamais le règne du « petit homme », maître d’œuvre de la répression sexuelle et de la dictature démocratique. Dans une société qui se révèle de plus en plus cloisonnée par la morale et la répression, c’est une réelle opportunité de pouvoir se replonger dans la vie d’un homme dont l’œuvre et l’engagement ont permis et peuvent encore permettre de vraies révolutions psycho-politiques.