
Si 1984 est mondialement connu – les mots, les formules et les images de ce livre sont utilisés partout –, Orwell n’est pas reconnu comme un penseur à part entière. Or dans ses écrits de non-fiction depuis 1936 et dans ses deux romans politiques (La Ferme des animaux et 1984), on trouve un ensemble d’idées originales et pertinentes sur le totalitarisme qui, si on les réunit, constituent une pensée politico-philosophique forte, cohérente et novatrice.
Orwell n’était pas en quête d’une théorie, d’un modèle ou d’une essence. Par-delà le « comment » (la structure de pouvoir et le fonctionnement des régimes totalitaires), il cherchait le « pourquoi ». Quand Big Brother nous regarde, qu’y-a-t-il au fond de ses yeux ? Qu’ont voulu les fondateurs de ces régimes ? Sur quels principes reposent les choix et les actes de leurs dirigeants ? Ce qu’Orwell a cherché et décrit dans 1984, c’est l’esprit du totalitarisme.
Arpentant son œuvre depuis plus de vingt-cinq ans, Jean-Jacques Rosat synthétise ici sa démarche et ses idées, en ouvrant grand les yeux sur le monde présent. Contrairement à un préjugé largement répandu, l’esprit du totalitarisme n’est pas mort avec la chute du Mur de Berlin : nous sommes confrontés aujourd’hui aux régimes totalitaires de la seconde génération. Héritiers de ceux du xxe siècle, la Chine de Xi Jinping et la Russie de Poutine ont leurs inventions propres, et l’avenir leur est ouvert. Simultanément, au sein des démocraties libérales, de nouvelles entreprises de domination des esprits sont à l’œuvre, et des modes de pensée typiques de ce qu’Orwell appelait la mentalité totalitaire se répandent.
Si Orwell a mis toute son énergie à tenter de comprendre les régimes totalitaires qu’il a connus, il était plus hanté encore par la crainte que, dans les décennies suivantes, de nouveaux variants totalitaires surgissent un peu partout dans le monde. C’est pourquoi il a écrit un roman politique tourné vers un futur proche possible : 1984. Quand on confronte ses idées à ce que sont les régimes totalitaires d’aujourd’hui, on s’aperçoit qu’elles n’ont pas pris une ride et offrent sur eux un éclairage qu’on ne trouve chez aucun autre auteur. Orwell est un penseur pour le XXIe siècle.
Orwell déclarait en juin 1949 à propos de son roman : « La morale à tirer de ce dangereux cauchemar est simple, ne permettez pas qu’il arrive. Cela dépend de vous. »
Agrégé de philosophie et ancien élève de l’ENS-Ulm, Jean-Jacques Rosat a enseigné la philosophie au lycée pendant vingt ans. Il a traduit La Connaissance objective de Karl Popper (Flammarion, 2009 [1991]) et publié un livre d’entretiens avec Jacques Bouveresse, Le Philosophe et le Réel (Hachette, 1998).
En 2000, il crée aux éditions Agone la collection « Banc d’essais », qu’il dirige jusqu’en 2016, où il publie notamment douze livres de Jacques Bouveresse.
Parallèlement, il se consacre à l’œuvre et à la pensée de George Orwell, dont il fait traduire chez Agone trois ouvrages (À ma guise en 2008, Écrits politiques en 2009 et Une vie en lettres en 2014 – ainsi qu’une biographie (John Newsinger, La Politique selon Orwell, 2006). Il traduit et publie par ailleurs Orwell ou le pouvoir de la vérité de James Conant (Agone, 2012) et codirige un dossier intitulé « Orwell, entre littérature et politique » (revue Agone, n°45, 2011). En 2013, il rassemble onze préfaces, articles et conférences qu’il a écrits sur Orwell sous le titre Chroniques orwelliennes (éditions du Collège de France, en ligne), suivies, en 2022, de Nouvelles Chroniques orwelliennes (disponibles sur le site Opuscules.fr).