Jordi ne veut pas entendre sa vieille tante Azucena radoter sur l’exode espagnol de 1939, « La Retirada ». Il ne veut pas de l’héritage qu’elle lui impose. Il est d’une autre époque, Point. Furieux qu’elle ne le comprenne pas et qu’elle insiste, il casse une branche du figuier auquel elle tient tant. Malheureux ! crie Azucena. Sous les yeux effarés de son aïeule, le figuier se referme sur l’adolescent. Il est propulsé au cœur du sujet qu’il évite, parmi les siens à l’époque de la Retirada. Pour sortir de ce cauchemar, il devra admettre qu’il est l’héritier d’un exil, d’un enracinement, et du rêve d’une société plus juste.
La Retirada Le point de vue développé dans le roman est celui de républicains espagnols qui ont dû fuir sous la menace franquiste en raison de leur engagement. Il a pour seule ambition de mettre en perspective les bribes d’un passé que « de vieux enfants » ont bien voulu me confier. Filles et fils d’ouvriers militants, ils sont porteurs du rêve anarcho-syndicaliste qui a engagé leurs parents dans la guerre d’Espagne. Ils ont enraciné en France leurs déceptions et leurs espoirs. Ils avaient entre six et treize ans lors de la Retirada en 1939.C’est leurs émotions, leurs émerveillements, leurs terreurs d’enfants, leurs déchirements que j’ai souhaité restituer ici, tels que Jordi, personnage de fiction, arrière petit neveu d’Azucena, aurait pu les entendre de leur bouche et les interpréter. Histoire et littérature Nos rencontres se sont déroulées dans une empathie réciproque, pour moi inattendue. Dès le départ, j’ai été confrontée à des questions qui m’ont accompagnée tout au long de l’écriture : comment m’emparer de ces témoignages sans les dénaturer, comment les romancer sans les trahir ? Comment rendre compte de cette empathie qui nous a liés depuis le début et qui est fondée sans doute sur le fait que j’ai aussi « mes exils » ? Frères et sœurs dans l’arrachement, nous nous comprenions, au-delà des différences culturelles et de nos âges respectifs.J’ai créé le personnage de Jordi, quinze ans en 2007, et orienté la narration de sorte à ce qu’il soit un fil rouge entre les différents témoignages. Puis j’ai créé le personnage de l’homme au chien – qui parle en italique, on sait pourquoi à la fin du roman – d’après les notes de Georges Gonzalbo. On pourrait me reprocher de n’avoir pas écrit sur l’Histoire. A cela, je répondrai que je ne suis pas historienne. J’ai écrit dans l’Histoire, à partir de l’Histoire. J’ai tenté de donner chair à des personnages de fictions et de restituer les douleurs réelles de l’arrachement dans le contexte particulier de l’exode espagnol de 1939 et, en écho, dans la conscience de Jordi. Par Michèle Bayar